Une note signée Nicolas CAPRON et Carole DAHAN, avocats au Barreau de Rouen dans Le Droit Ouvrier – Janvier 2018
22 janvier 2018
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La Cour de Cassation valide le barème Macron mais le combat continue…

Et voilà… Même si la position de la Cour de cassation sur le barème était relativement prévisible, la lire et l’entendre n’en reste pas moins violent. Une violence à la hauteur de l’atteinte aux droits des travailleurs, au Droit du travail et au Droit en général.

Le barème serait conforme à l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT ; l’article 24 de la Charte Sociale Européenne ne serait pas d’effet direct ; le droit français dissuaderait de licencier sans cause réelle et sérieuse.

Et pas d’application in concreto au nom d’un principe d’égalité entre salariés injustement licenciés ; on en rirait si ce n’était pas la réalité…

Tout a déjà été dit d’un point de vue juridique sur le barème, et il ne sera pas question de répéter les arguments pertinents et de bon sens démontrant que ce barème n’avait pas lieu d’être. Inversement, la Cour de cassation ne convainc pas : « l’injustice a tranché » (communiqué du SAF) ; « profonde injustice » (communiqué du Syndicat de la Magistrature)… Quelle ironie pour la plus Haute Cour de « justice » française…

Il est d’ores et déjà permis de s’inquiéter d’un changement de philosophie du Droit du travail. Alors qu’il s’agissait jusque-là de protéger la partie faible au contrat de travail (le travailleur) et de réduire autant que possible le déséquilibre naturel existant entre un salarié et son employeur, voilà désormais qu’il faut protéger, sécuriser la partie forte et lever les obstacles qui l’empêche de mieux assoir sa domination « contribuer à favoriser le progrès social et économique pour la France et les Français » (Rapport du Premier Ministre sur l’Ordonnance n° 2017-1387). Mais quel Droit, quel juriste peut se satisfaire d’une telle situation ?

Travaillez brave gens ! D’autres s’occupent à votre place de savoir ce qui est bien pour vous…

Le salarié aurait donc droit à une « indemnisation adéquate ». Une intérimaire en mission depuis 18 mois dans une entreprise financièrement solide, âgée de 50 ans, isolée et avec des enfants encore à charge qui obtiendrait la requalification de ses contrats d’intérim devra donc se satisfaire d’une indemnisation à hauteur de…2 mois de salaire maximum…

C’est adéquat pour la Cour de cassation puisque cette dernière interdit toute application in concreto…par soucis d’égalité… !

Mais est-ce suffisant ? Certainement pas mais elle devra s’en contenter…et « traverser la rue » pour retourner chercher un autre emploi précaire.

Et que fait-on du principe de réparation intégrale du préjudice ? A l’heure où l’on demande au salarié de justifier le moindre centime de préjudice, comment lui dénier ce droit ? Et que fait-on également du principe d’individualisation du préjudice ?

Et bien non ! Circulez braves gens, il n’y a plus rien à voir ; et estimez-vous heureux que l’on vous accorde déjà une indemnisation symbolique…

Le préjudice subi du fait de la perte injustifiée de son emploi deviendrait donc un sous-préjudice…

Et le travailleur deviendrait un sous-justiciable…

Il est impossible de s’en réjouir.

Car il est nécessaire de ne pas oublier que les dommages et intérêts ont, en réalité, une double vocation :

  • indemniser la victime ; car oui, on en viendrait presque à oublier que le salarié est victime d’avoir perdu son emploi sans aucune cause réelle et sérieuse,
  • sanctionner l’employeur fautif ; car oui, on en viendrait presque à oublier que l’employeur aura été reconnu fautif par une juridiction prud’homale composée certes de salariés mais aussi d’employeurs.

Il faudrait donc désormais l’oublier : car en plus de ne plus faire son office d’indemnisation intégrale, le barème n’a absolument rien de dissuasif. L’honnêteté intellectuelle devrait, en effet, permettre d’obtenir un consensus sur le fait que condamner un employeur à un ou deux mois de salaire n’a absolument rien de punitif.

Mais il semblerait que ce ne soit même pas son rôle pour la Cour de cassation qui semble réserver cette caractéristique au fait, pour l’employeur, de devoir rembourser les allocations chômage : jusqu’à 6 mois d’indemnité (et non jusqu’à 6 mois de salaire). Quelle dissuasion…

Le Droit du travail ? Pour quoi faire…

Mais s’il n’y a plus de dissuasion, s’il n’y a plus de sanction suffisamment lourde ou, à tout le moins de crainte qu’il puisse y en avoir une, comment s’assurer du respect des règles ?

La sanction n’a-t-elle pas pour objet de s’assurer de l’effectivité des règles de Droit et, partant, de l’efficacité de celui-ci ?

L’indemnisation peut augmenter avec l’ancienneté ? Peut-être. Mais avant d’avoir 30 ans d’ancienneté, il faut bien acquérir les premières…Quant aux plus anciens, il conviendra de ne pas oublier que le minimum sera de 3 mois de salaire et que le désormais « sacro-saint » principe de justification de préjudice sera invoqué et tout sera permis ; après tout, certains avocats d’employeurs ont pu déjà plaider que le chômage…n’était pas un préjudice pour le salarié.

L’efficacité du Droit tend donc à disparaitre avec ce barème ; et le travailleur perd, in fine, la protection que le Droit est censé lui accorder. Mais tel était finalement l’objectif du barème : instaurer la flexibilité tant souhaitée dans le droit du travail français…

Certes, il faut encore respecter les règles propres à la rupture du contrat de travail. Mais cela devient alors une simple formalité administrative. Et pourquoi même s’embêter avec une lettre de licenciement pour un salarié avec une faible ancienneté si l’employeur a les moyens de payer ?

Et cette flexibilité conduira nécessairement à une double précarité :

  • une relation de travail précarisée pour le salarié, car l’employeur n’aura plus à craindre une demande de résiliation judiciaire ou une prise d’acte en raison de ses manquements graves dans la relation de travail,
  • un Droit du travail précarisé par le pouvoir exécutif et la Cour de cassation ; un salarié en CDD de 18 mois ne sera-t-il pas plus protégé qu’un salarié en CDI qui a 2 ans d’ancienneté ? Car en cas de rupture abusive du CDD au bout de 6 mois, le salarié pourra obtenir une indemnisation dont le montant est au moins égal aux rémunérations que le salarié aurait perçues jusqu’au terme de son CDD ; tandis que le salarié en CDI n’aura que 3,5 mois maximum.

Un contrat précaire devient donc plus sécurisant qu’un CDI…tout un symbole…

Il sera très certainement objecté que tous les employeurs ne sont pas malhonnêtes et qu’ils n’ont pas d’intérêt à licencier à tour de bras. Peut-être…

Alors, dans ce cas, pourquoi appeler de leurs vœux un tel barème s’ils prétendent vouloir respecter les règles ? Si leurs pratiques sont saines, ils n’ont donc rien à craindre de la justice prud’homale.

Mais les praticiens savent que les pratiques des entreprises (de toute taille) défient souvent les lois de la raison.

En tout état de cause, il ne devrait pas être permis au Droit d’institutionnaliser son absence d’efficacité, ce que fait ce barème. Et il devrait être permis au Juge d’apprécier l’application de la Loi aux situations personnelles, ce que la Cour de cassation interdit.

Rendre à l’exécutif ce qui est à l’exécutif, et à la Cour de cassation ce qui est à la Cour de cassation.

Ainsi, non seulement un salarié pourra voir ses droits les plus élémentaires violés, mais en plus il s’interrogera légitimement sur l’opportunité de saisir le Juge pour faire sanctionner ce non-respect des règles.

Car quel intérêt pour lui d’engager des frais et de se lancer dans des années de procédure si le gain final (couplé à l’aléa judiciaire) est si faible.

Tous les travailleurs n’ont pas le droit à l’aide juridictionnelle. Quant aux assurances protection juridique, elles se réservent déjà le droit d’apprécier si l’action a des chances de succès pour décider de prendre ou non en charge les honoraires. Nul doute que les moins scrupuleuses d’entre elles intègreront désormais l’opportunité de lancer une action au regard du gain que son assuré est susceptible d’en retirer.

Dès lors, si le justiciable ne saisit pas le Juge, ce n’est pas parce qu’il aura de lui-même, et en conscience, considéré qu’une procédure en justice n’était pas nécessaire pour lui permettre d’avancer et de se reconstruire.

C’est exclusivement parce qu’une règle de Droit lui indique qu’il n’a aucun intérêt à engager une action.

Quoi que l’on puisse objecter, il y a donc véritablement un obstacle au recours au Juge. La réduction drastique des délais de prescription avait déjà commencé le travail (et l’on ne peut alors s’empêcher d’avoir une pensée pour la disparition potentielle des Conseils de Prud’hommes).

A l’heure où la défiance vis-à-vis de nos institutions est de plus en plus importante, où le sentiment d’une « Justice de classe » grandit, rendons à l’exécutif et à la Cour de cassation de ne rien faire pour arranger les choses tant ce barème ne fait que renforcer ce sentiment, apparaissant ainsi, d’une certaine manière, socialement dangereuse.

La fin de la lutte ?

Ces éléments imposent donc d’adopter une certaine réserve face aux commentaires indiquant que l’affaire du Barème serait terminée.

Il conviendra déjà d’attendre la position du Comité Européen des Droits Sociaux que la Cour de cassation a, il est vrai, tenté de court-circuiter en indiquant, de façon juridiquement contestable, que l’article 24 de la Charte Sociale Européenne n’était pas d’application directe. Pourtant, la France a bien signé cette Charte et s’est bien engagée à se considérer comme liée par cet article 24, dont la rédaction est identique à l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT et dont l’effet direct ne fait de doute pour personne.

Et si ce Comité venait à sanctionner le Barème français, comme il l’a déjà fait pour le Barème finlandais et le Barème italien, il sera difficile de ne pas en tenir compte et ni le Gouvernement, ni la Cour de cassation ne pourront raisonnablement faire les sourds.

Quelle crédibilité aurait la France vis-à-vis de ses interlocuteurs si elle s’affranchit elle-même des textes sur lesquels elle s’est engagée et de l’interprétation de l’organe chargé de leur interprétation ?

On peut également espérer que la Cour de cassation reconnaisse son erreur, comme elle a pu le faire à propos de l’indemnisation du préjudice d’anxiété, certes après près de 10 ans d’une position rigoriste et trop injuste pour tenir ? Comme pour le barème ?

On peut enfin espérer qu’une nouvelle majorité législative prenne la responsabilité de remédier cette injustice sociale. Mais dans combien de temps ?

D’ici là, la lutte continue…

Karim BERBRA

BAUDEU & Associés

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