Alors que le gouvernement devrait annoncer ce matin un plafonnement des indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le conseil de prud’hommes d’Evreux jette un pavé dans la mare en sanctionnant sévèrement une entreprise au sujet de la rédaction de la lettre de convocation à un entretien préalable de licenciement.
Actuellement, le code du travail prévoit simplement que la convocation doit être effectuée par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge. La lettre doit indiquer l’objet de la convocation et préciser la date, l’heure et le lieu de l’entretien. Elle doit rappeler que le salarié peut se faire assister pour cet entretien par une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise ou, en l’absence d’institutions représentatives du personnel dans l’entreprise, par un conseiller du salarié. La Cour de cassation, si elle exige que la convocation à l’entretien préalable à un licenciement contienne bien l’indication non équivoque qu’un licenciement est envisagé, ne demande pas à l’employeur de préciser les griefs allégués contre le salarié.
Mais pour certains, ne pas mentionner les faits reprochés au salarié dans la lettre de convocation, c’est ne pas mettre le salarié en mesure de se défendre convenablement. C’est le point de vue qu’a défendu la salariée dans l’affaire en cause et qui a emporté la conviction du conseil de prud’hommes d’Evreux. Cette ingénieure assurance qualité, embauchée en 2011, est convoquée un an plus tard à un entretien préalable « en vue d’une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement ». Elle est finalement licenciée pour insuffisance professionnelle. Déjà, dans un précédent courrier, son employeur lui reprochait « des difficultés à assurer les missions de [sa] fonction d’assurance qualité… ». La salariée conteste son licenciement tant sur le fond que sur la forme. Elle estime notamment que la procédure n’a pas été respectée.
Les juges prud’homaux vont lui donner raison sur tous les points. Classiquement, ils sanctionnent le non-respect du délai de 5 jours ouvrables entre la remise de la lettre de convocation et l’entretien (à hauteur de 3 600 € de dommages-intérêts). Beaucoup plus inattendu, ils reprochent à l’employeur de n’avoir pas étayé dans la lettre de convocation à l’entretien les griefs reprochés à la salariée. Et la sanction est de taille : ils annulent le licenciement et condamnent l’entreprise à verser à la salariée 46 000 € de dommages-intérêts. Les juges estiment en effet que l’employeur a violé une liberté fondamentale en ne respectant pas les droits de la défense de la salariée – et partant – une garantie de fond.
Les juges d’Evreux invoquent l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CESDH) qui prévoit que « tout accusé a droit notamment à être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ; disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ». Ils se réfèrent également à l’article 7 de la convention OIT n° 158 qui impose que les droits de la défense du salarié comportent deux exigences essentielles : la communication des griefs invoqués à son encontre, et des informations délivrées dans un délai raisonnable afin de préparer utilement sa défense en tout état de cause avant la tenue de l’entretien préalable.
Les juges en déduisent qu’à « défaut d’avoir pu avoir connaissance des griefs reprochés avant l’entretien préalable, la salariée n’a pu avoir la possibilité de se défendre utilement contre les reproches formulés qu’il découvre lors de l’entretien préalable ». La salariée « n’a pu se défendre équitablement », estime le conseil de prud’hommes qui poursuit : « L’entretien préalable est le seul moment où le salarié peut s’expliquer sur les faits qui lui dont reprochés et se défendre », ce qui suppose que le salarié puisse préparer sa défense « en connaissance de cause, dans la perspective de l’entretien préalable, c’est-à-dire en connaissant non seulement la sanction envisagée, mais surtout les reproches que l’employeur s’apprête à articuler à l’encontre de son salarié ».
Le conseil de prud’hommes insiste d’autant plus que les griefs reprochés à la salariée étaient « particulièrement techniques et auraient nécessité des réponses ou justifications techniques » de la part de la salariée, « qui ne sauraient être improvisées pendant l’entretien préalable ». Les juges déplorent d’ailleurs que le DRH ait mené seul l’entretien, alors qu’en raison de « son poste et [de] ses fonctions [il] ne disposait pas de la technicité nécessaire pour appréhender pleinement les justifications éventuellement apportées » par la salariée.
L’entreprise a interjeté appel du jugement. Cette solution peut-elle prospérer en appel ? Il est difficile de se prononcer. En effet, le 7 mai 2014, la cour d’appel de Paris a déjà statué dans ce sens. Nicolas Capron (cabinet Baudeu et associés), l’avocat de la salariée, estime qu’aujourd’hui la Cour de cassation pourrait elle-même évoluer. « Les agents de la fonction publique ont accès à leur dossier, pas les salariés du privé », déplore-t-il. Lui-même conseille aux DRH de ne pas laisser les salariés dans le flou. « Il faut au moins donner au salarié des éléments de contexte sans toutefois être trop précis sous peine de donner le sentiment que l’entretien n’est qu’une formalité et que la décision est déjà prise ». En l’espèce, insiste-t-il, la salariée avait des fonctions extrêmement techniques dans l’aéronautique ; il lui était impossible de pouvoir apporter la contradiction sans avoir préparé son entretien, estime-t-il.